Que représente dans votre carrière cette double confrontation entre le Stade Malherbe et Saragosse ?
"Le match aller reste le meilleur souvenir de ma carrière de joueur. A partir de là, une nouvelle carrière a débuté pour moi tant sur le plan sportif que médiatique. Un mois plus tard, j'ai été appelé pour la première fois en équipe de France (contre l'Autriche). D'ailleurs, j'ai appris ma sélection le jour de mon anniversaire (le 5 octobre). J'ai basculé vers le très haut niveau. Mais au-delà de ma performance personnelle, c'est toute l'équipe qui s'était transcendée. Saragosse fut un match référence. C'était une reconnaissance de notre saison exceptionnelle".
Avec quel état d'esprit votre équipe avait-elle abordé ce match aller à domicile ?
"Je me rappellerai toujours de l'arrivée de Guy Chambily (le président du SMC en 1992) à la collation et de sa réflexion : "les Espagnols nous ont pris pour des jambons". Ils pensaient que Venoix était notre terrain d'entraînement ! Il était fou furieux. La journée avait été très longue. On n'avait qu'une seule envie, c'était d'en découdre. On formait une équipe de déconneurs, mais ce jour-là, on a senti l'importance de ce rendez-vous. Depuis le tirage au sort, tout le monde ne parlait que de ça. On était très excité. Dès l'échauffement, on était gonflé à bloc. Et dès la première minute, on a réussi à transférer cette énergie sur le terrain. On n'a pas été du tout inhibé. Même à la pause, on n'est resté assis que quatre-cinq minutes. On voulait que la mi-temps soit raccourcie pour y retourner".
Décrivez-nous l'atmosphère qui régnait à Venoix ?
"On a vécu un moment magique pendant 1 h 30. Même si la capacité de Venoix avait été réduite à cause des normes UEFA, il y avait une connexion avec les supporters. On connaissait l'importance de ce match ; le premier en Coupe d'Europe pour le club, la ville, la région… Sur le terrain, on a senti tout un peuple derrière nous. Avec les tôles, ça faisait un bruit... Un truc de malade. Pour ceux qui ont eu la chance d'y assister que ce soit au stade ou devant leur TV, c'est ancré à vie. Depuis que je suis revenu à Malherbe, je rencontre des pères de famille qui racontent ce match à leur fils. C'est pour revivre de telles émotions que je caresse l'espoir de rejouer une Coupe d'Europe un jour avec le Stade Malherbe".
Malgré les nombreuses erreurs d'arbitrage dont vous avez été victime lors de cette double confrontation(1), est-ce que vous n'avez pas laissé échapper la qualification durant ce match aller où vous auriez pu vous imposer plus largement ?
"Ce match, on ne doit jamais le gagner 3-2, mais 4-1 ou 5-1. Maintenant, il ne faut pas se tromper, on avait réalisé une très grosse performance. On avait montré qu'on savait jouer au foot. On avait tout tenté, à 100 à l'heure. On s'était arraché. En face, il y avait quand même l'une six meilleures équipes espagnoles de l'époque avec des joueurs comme Andreas Brehme (unique buteur sur penalty de la finale de la Coupe du Monde 1990 entre l'Allemagne et l'Argentine), Gustavo Poyet (international uruguayen), Miguel Pardeza (international espagnol formé au Real Madrid)... On les avait secoués comme jamais. A la mi-temps, ils étaient un peu perturbés. Mais au retour des vestiaires, leur visage avait changé".
25e anniversaire du match mythique @SMCaen / @RealZaragoza, les 3 buts de la rencontre pour les plus jeunes! #SMCaen #TeamSMC pic.twitter.com/TdSBQWZPP2
— Stade Malherbe Caen (@SMCaen) 15 septembre 2017
D'un match aller de rêve, vous êtes passés à un cauchemar au retour en Espagne avec une défaite 2-0 synonyme d'élimination. Une rencontre marquée par de nombreuses erreurs d'arbitrage…
"On s'était fait voler. C'est la première fois qu'avec Faouzi Rouissi, on a été sifflé hors-jeu en partant de notre camp. On a vu des choses bizarres. On s'est aperçu très vite que ça allait être compliqué. On avait un 12e adversaire contre nous. En plus, les Espagnols - contrairement à l'aller - nous avaient pris très au sérieux. L'exploit à Venoix avait été si retentissant en Espagne".
Au retour, l'entraîneur Daniel Jeandupeux avait tenté un coup tactique en positionnant votre attaquant Stéphane Paille en position de libéro…
"Le coach nous avait prévenus au dernier moment. Quand il en a parlé devant le groupe, on a tous été un peu stupéfaits. Il voulait renforcer notre défense tout en ajoutant de la vitesse devant en alignant Faouzi Rouissi. Steph avait joué libéro pour son jeu de tête. Est-ce que j'ai revu ça dans ma carrière ? Rolland Courbis (qui a entraîné Xavier Gravelaine à Marseille en 1996-1997) effectuait quelques essais aussi".
Un mot justement sur votre compère de l'attaque de l'époque : Stéphane Paille qui nous a malheureusement quittés il y a deux mois(2)…
"Avec Steph, j'ai certainement eu une des meilleures ententes de ma carrière. On a joué une saison ensemble en attaque (en 1992-1993). On avait une complicité dans le jeu assez exceptionnelle. Steph, c'était le premier international français à venir jouer chez nous. C'était une star. Rien que par son aura, il a apporté un plus à l'équipe. A l'époque, il avait besoin de se relancer. Et à Caen, il avait trouvé une famille. Il s'est tout de suite senti bien. Il a retrouvé les mêmes valeurs qu'il avait connues à Sochaux, son club formateur. C'est quelqu'un qui aimait rigoler. Il faisait un paquet de conneries".
Justement, avez-vous une anecdote à partager sur Stéphane Paille…
"Elles ne sont pas déclarables (rires). Mais à l'époque, en sortant du vestiaire, on avait une p'tite baraque qui nous servait de club house. Au bout de deux mois et demi, c'était devenu le patron. Steph, c'était un gars qui mettait l'ambiance avec parfois quelques excès. Il nous a aussi apporté ça. Au départ, on était deux-trois. A la fin, toute l'équipe s'y retrouvait. On restait des heures. On mangeait là-bas, on buvait une bière. Il fallait nous chasser pour qu'on parte. On était tellement bien ensemble. Ça nous a permis de créer une osmose. On était tous solidaires. Quand un joueur faisait une connerie extra-sportive, on le protégeait".
(1)A l'aller, Xavier Gravelaine aurait dû bénéficier d'un penalty au début de la seconde période tandis que la réduction du score de Saragosse à 3-2 est entachée d'une faute sur le gardien caennais Philippe Montanier. Au retour, Faouzi Rouissi - filant deux fois seul au but - est sanctionné d'un hors-jeu alors qu'il partait de son camp. "J'ai rarement vu un trio de nullos pareil… Faudrait les empailler ceux-là", déclara même Thierry Roland - qui commentait le match pour la télévision - à propos de l'arbitrage contestable de M. Howard King au retour.
(2)Le jour de ses 52 ans, (le 27 juin), Stéphane Paille est décédé à l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon des suites d'une maladie foudroyante.
LES FICHES TECHNIQUES
►1er Tour aller. 15 septembre 1992
SM CAEN - REAL SARAGOSSE 3-2
Stade de Venoix. Environ 5 000 spectateurs.
Mi-temps : 3-1.
Arbitrage de M. Kurt Röthlisberger (Suisse).
Buts : Stéphane Paille (7', 37'), Gravelaine (17') pour Caen ; Sanjuan (30'), Pardeza (75') pour Saragosse.
- SM Caen : Philippe Montanier (g) - Philippe Avenet, Hubert Fournier, Christophe Point, Yvan Lebourgois (cap, Joël Germain) - Hippolyte Dangbeto (Faouzi Rouissi, 76'), Benoît Cauet, Willy Görter, Gaby Calderon - Stéphane Paille, Xavier Gravelaine. Entraîneur : Daniel Jeandupeux.
- Real Saragosse : Cedrùn (g) - Solana (Lopez, 54'), Julia, Aguado, Brehme - Gay, Franco, Sanjuan, Mateut - Pardeza, Pena (Garcia, 76'). Entraîneur : Victor Fernandez.
►1er Tour retour. 1er octobre 1992
REAL SARAGOSSE - SM CAEN 2-0
Stade de La Romareda. Environ 7 000 spectateurs.
Mi-temps : 1-0.
Arbitrage de M. Howard King (Pays de Galles).
Buts : Brehme (24'), Poyet (64').
- Real Saragosse : Cedrun (g) - Belsué, Lopez, Aguado, Solana - Gay (Sanjuan, 75'), Franco, Poyet, Brehme - Huguera (Garcia, 54'), Pardeza. Entraîneur : Victor Fernandez.
- SM Caen : Philippe Montanier (g) - Hubert Fournier, Stéphane Paille, Christophe Point (Joël Germain, 64') - Stéphane Dedebant, Hippolyte Dangbeto, Benoît Cauet, Gaby Calderon (Willy Görter, 75'), Yvan Lebourgeois (cap) - Faouzi Rouissi, Xavier Gravelaine. Entraîneur : Daniel Jeandupeux.