
Les élites de l’éthylisme
Si on la lit sur la carte, l’opposition entre Monaco et Caen paraît inégale, avec juste comme point commun le choix du sucre pour accompagner une ingestion qui pourrait mêler amertume et âpreté. D’un côté, le Monaco nous renvoie à nos premières bêtises d’adolescents, à nos premières tentatives de « grands » dans un bar, à nos souvenirs de lycée où quelques doses d’alcool faisaient vaciller nos certitudes les plus ancrées : de la limonade et de la grenadine comme trait d’union entre nos boissons d’enfant et le besoin de paraître plus adulte, en trouvant une contenance assurée accoudé à un comptoir. De l’autre, l’embuscade, recette caennaise par excellence aux origines contestées qui construisent sa mythologie urbaine, nous renvoie à nos délires d’étudiants. La pointe de sucre adoucit le cocktail détonant qui donne les premières notes de soirées passées dans une brumeuse euphorie : une « vraie » première boisson d’adulte, qui annonce à sa manière les alcools les plus forts, qui brûlent le gosier autant qu’ils enivrent la tête. Entre le Monaco et l’embuscade, il y a un monde d’écart, le signe d’un apprentissage solidement intégré. Reste à savoir si les réalités éthyliques sont exportables en football.
Qu’importe le flacon, pourvu qu'on ait l’ivresse
Sans faire l’apologie de l’alcool, il est bon de rappeler que de s’enfiler quelques godets, dans un carré VIP de stade, chez soi avec quelques amis ou dans l’environnement plus anonyme d’un café, compose quelque chose du folklore footballistique. Bien évidemment, tomber dans un certain nombre de clichés est un risque qu’il ne faut pas nier lorsqu’on commande un premier verre : brailler sur l’arbitre, insulter l’adversaire, être le seul dans la salle à reprendre le chant des supporters, soutenir au tavernier que la meilleure configuration tactique est le 2-6-2, tout en vérifiant que le nombre de joueurs respecte à la lettre les règles du sport…Dans ce contexte, la comparaison avec le football est bien valable. Il ne faut pas se croire trop beau et ne pas aller au-delà de ce que notre corps peut accepter : se rappeler cet adage plein de bon sens que Jacques Dutronc a formulé un jour : « Beaucoup de gens boivent, très peu savent être bourrés ». Bien évidemment, quelques verres de trop ne seront jamais aussi enivrants que l’ivresse d’un spectacle réussi, conclu par une victoire et une belle opération comptable, plus belle que la note qui pourrait vous attendre en cas de défaite et de tournée payée pour « oublier ça ». Bien évidemment, une bonne vieille gueule de bois pourrait venir animer votre dimanche matin, vous faisant regretter dans une saveur de nausée le moment où tout a basculé. Il sera alors bon de s’assurer que la soirée s’est bien terminée, que le score a été le bon, que les lendemains un peu laborieux sont la conséquence d’une fête réussie. Prendre un Monaco en embuscade : le choix est compliqué, les risques sont nombreux ; l’ivresse pourrait se muer en ébriété. Mais comme l’a dit Courteline, pour savoir qu’un verre était de trop, encore fallait-il l’avoir bu.