Jean-Jacques PIERRE, une vie autour du monde

JJPIERRE 241012.jpgNé en Haïti puis passé par l'Argentine, l'Uruguay et la Grèce, Jean-Jacques PIERRE est un footballeur atypique. Entre leçons de vie et anecdotes surprenantes, le défenseur du SM Caen se raconte.

 

Enfant à Léogâne (Haïti), comment est née ta passion pour le football ?

En Haïti, le foot, c'est une religion... Dès que tu entres en CP, la direction de l'école primaire t'oblige à pratiquer ce sport. Tu n'as pas le choix, tu dois faire du foot. Dans la cour de récré, j'étais tout le temps avec le ballon. Et puis, il faut savoir que, si tu n'avais pas la moyenne dans une matière, tu étais privé de foot. Alors, forcément, quand j'étais gamin, je me donnais à fond pour être sûr de pouvoir jouer avec les copains.

 

A quel âge as-tu signé ta première licence dans un club ?

J'ai rejoint le club de Léogâne, ma ville natale, à l'âge de 13 ans. Ensuite, j'ai été recruté pour intégrer le Centre de Formation de l'Etat d'Haïti. C'est la structure qui regroupe les meilleurs joueurs Haïtiens dans chaque catégorie. En 1998, parallèlement à la Coupe du Monde en France, on a été invités à disputer une épreuve réunissant plusieurs pays francophones, à Colombes. Cela nous a permis de nous confronter à des nations comme Madagascar ou le Cameroun. A mon retour, j'ai intégré l'équipe principale de l'AS Cavaly de Léogâne.

 

En 2002, tu quittes Haïti pour l'Argentine. Qu'est-ce qui a motivé ton choix ?

Les dirigeants de la fédération m'avaient objectivement fait comprendre que le championnat haïtien ne pouvait plus rien m'apporter. Quand ils estiment que tu as le niveau pour évoluer ailleurs, ils ne s'opposent jamais à ton départ. J'ai donc rebondi en Argentine : une saison à l'Arsenal de Sarandi, une autre au Deportivo Moron. Dans la foulée, j'ai aussi joué en Uruguay, à Penarol.

 

"En Amérique du Sud, je vivais chez l'habitant..."

 

Argentine, Uruguay : quel souvenir te laisse ton passage en Amérique du Sud ?

Sur le plan footballistique, ça m'a permis de progresser, de me confronter à une concurrence plus rude. En Argentine et en Uruguay, la vie, c'est un peu comme en Haïti. D'un côté, tu as des gens extrêmement riches et, de l'autre, tu as des gens extrêmement pauvres. Là-bas, j'ai été accueilli par des familles. A l'époque, je vivais, en quelque sorte, chez l'habitant. Un peu comme un étudiant le ferait en France... Comme je ne connaissais personne, les clubs me mettaient en relation avec des gens qui m'accueillaient chez eux.  Humainement, c'est un souvenir fantastique ! Et, depuis, j'ai régulièrement ces personnes au téléphone.

 

A l'été 2005, tu rejoins le FC Nantes. Quand tu arrives en France, qu'est-ce qui t'impressionne le plus ?

Ma vie change totalement. Entre ce que j'avais vécu en Haïti ou en Amérique du Sud et ce que je découvrais alors en France, il n'y avait pas photo. Dans ton confort au quotidien, dans ta situation de footballeur, tout change ! Humainement, tu restes le même. Mais, footballistiquement, tu n'as plus du tout le même statut. Quand tu vois les infrastructures dans lesquelles tu exerces ton métier, ce n'est pas la même chose. En France, tu as tout ce qu'il faut pour être le plus performant possible.

 

En Haïti, quelle image a-t-on de la France ?

Dans mon pays, on a énormément de sympathie pour la France. On n'a jamais oublié qu'il y a un peu plus de deux siècles, on était une colonie française. On a le même symbole, la même devise "Liberté, Egalité, Fraternité". Mais on ne se compare pas à la France. On ne peut pas avoir cette prétention. Notre île est aussi grande que la Bretagne... Ça n'a rien à voir !

 

"Des jours fériés quand la sélection gagne des matches importants"

 

En tant qu'expatrié, que représente, pour toi, le fait de porter le maillot d'Haïti en sélection ?

Je dispute tous les matches comme si c'était le premier. C'est toujours une fierté immense de représenter son peuple, de retrouver ses compatriotes. Et puis, le foot, c'est tellement fort en Haïti que, si on gagne des matches importants, le gouvernement accorde des jours fériés à la population. Là-bas, tout le monde vit pour le foot !

 

Comment as-tu vécu le terrible séisme qui a frappé ton île en janvier 2010 ?

Je vivais en France. Mais j'ai suivi ça de près. Tu te rends compte qu'en l'espace de 9 petites secondes, tu peux perdre ta vie... En plus, l'épicentre, c'était chez moi à Léogâne. Ç'a été un lourd traumatisme pour tout notre peuple. Il y eu plus de 300 000 morts ! En Haïti, les gens vivent très souvent sous des abris faits n'importe comment, beaucoup de bâtiments ne sont absolument pas aux normes... Ce séisme a engendré des dégâts effrayants !

 

Après six saisons au FC Nantes, tu rejoins le club grec de Panionios, l'hiver dernier. Quelles images conserves-tu de tes six mois là-bas ?

J'ai découvert des habitudes de vie très surprenantes. Là-bas, chacun fait ce qu'il veut, déclare ses revenus quand il le souhaite. Il y a des voitures sans plaque d'immatriculation en ville, les flics ne disent rien... Quand t'as rendez-vous avec quelqu'un, il est fréquent que la personne arrive avec plus de 2h de retard... Elle ne présente jamais ses excuses car, pour elle, c'est presque naturel. J'ai vu des trucs incroyables en Grèce !

 

"Six mois à Panionios sans toucher un centime..."

 

En quoi la crise économique, sévèrement subie par ce pays, a influé sur ta situation ?

J'ai joué six mois pour Panionios et je n'ai pas touché un centime. Je n'ai jamais été payé. Au début, quand t'as deux mois de retard sur le salaire, le Président te dit qu'il ne faut pas t'inquiéter, qu'il va te payer le lendemain. Puis le lendemain arrive et tu n'as rien... En Grèce, c'est dingue : avant un match important, le Président est descendu dans le vestiaire, il nous a dit qu'il fallait absolument gagner cette rencontre et que, par la suite, on serait payés. On a gagné et on n'a rien reçu...

 

Dans ces conditions, arrêter de jouer t'a effleuré l'esprit ?

Ça aurait servi à quoi ? Je m'étais assis sur cet argent, dans le sens où j'ai su, très rapidement, que je ne serais pas payé. Je n'ai pas voulu brandir une quelconque menace auprès des dirigeants car je savais que ça n'aboutirait pas à grand-chose. A ce sujet, l'un de mes partenaires, l'ancien joueur de Lens, MILOVANOVIC, lui, refusait de jouer. Je le trouvais extraordinaire à l'entraînement et, en match, il ne jouait pas. Il m'explique pourquoi. Une autre fois, le coach le prend et il marque mais sort à la mi-temps. Et là, il me dit : "Ils ne m'ont payé que la moitié de mon salaire, alors je ne joue que la moitié du match..."

 

Ce que tu as vécu au travers de tes expériences fait de toi un footballeur différent ?

Footballeur, non. Homme, oui, sans doute. Quand t'as vécu et vu toutes ces choses-là, tu te dis qu'en Europe, et notamment en France, on est des privilégiés. Faire de ta passion un métier, c'est déjà une chance immense. Après, le vécu, ça t'aide sûrement à rester humble et, puis, ça te rend plus fort. Car, il n'y a pas grand-chose qui te touche, au quotidien, quand t'as constaté qu'ailleurs, il y avait la misère... Donc, oui, ça t'endurcit !

 

 

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