Face-à-face avec le directeur du centre de formation

Du passage en catégorie 1 il y a un an à la meilleure progression au classement de la DTN cet été (18e/35 structures agréées avec un bond de sept places) en passant par des U17 et des U19 nationaux qui trustent le haut du tableau dans leur championnat respectif, tous les clignotants semblent au vert au centre de formation du Stade Malherbe. A sa tête depuis juillet 2015, Francis De Taddeo (59 ans) n'en reste pas moins sur ses gardes. Politique régionale, concurrence des autres clubs, difficultés pour faire signer les premiers contrats professionnels…, l'ex-entraîneur du FC Metz est revenu sur tous ces thèmes.

Comment collaborez-vous avec les clubs régionaux (Calvados, Manche, Orne) pour que les talents normands ne vous échappent pas ?

"Pour moi qui viens d’une autre région, je ressens un fort sentiment d'attachement au Stade Malherbe présent dans toute la Normandie. Pour les clubs régionaux, j’ai vraiment la sensation que le Stade Malherbe représente une valeur très importante. Je constate que quand ils ont un bon joueur, les présidents ou les coaches nous appellent spontanément pour nous le signaler. Nous les en remercions tout particulièrement. Ensuite, soit nous l’accueillons en stage, soit nous nous déplaçons pour l’observer. Nous essayons de multiplier les matches amicaux avec eux, afin de mieux échanger et partager. Sur la phase retour, nous organiserons une soirée en leur compagnie lors d'un match de Ligue 1. A Malherbe, nous considérons que le centre de formation appartient aux talents normands".

"Notre préformation est composée à 75% de jeunes joueurs régionaux"

Et avec les clubs franciliens ?

"Il y a, maintenant, une dizaine de clubs de la région parisienne qui ont pris l'habitude de venir à Caen pour découvrir notre centre, visiter nos installations, le stade… Avec ces clubs, nous essayons de créer du lien. Tout d'abord, de la convivialité puis sur le plan technique. Et éventuellement, quand la situation le justifie, on discute d'un joueur".

Entre les joueurs issus de votre école de foot, ceux qui proviennent des clubs régionaux et les éléments recrutés à l'extérieur, principalement en région parisienne, quelle est la proportion au sein du centre de formation ?

"Si nous faisons signer en pro trois joueurs d'une génération ; ce qui est un excellent ratio, notre idée, c'est d'avoir au minimum un local sur les trois. Bien sûr, si on peut avoir trois locaux, c'est encore mieux. Pour atteindre notre objectif, il faut un taux de pénétration très important sur notre territoire. Notre préformation (U14-U15), dirigée par Jeff Peron, est ainsi composée à 75% de jeunes joueurs régionaux dont plus de la moitié est issue de notre école de foot. C'est un excellent pourcentage que nous devons absolument conserver. Ensuite, 70% des garçons qui se retrouvent en formation initiale (catégorie U17 sous la direction de Matthieu Ballon) proviennent de notre préformation. La saison prochaine, par exemple, sur les 17 joueurs U15 que nous avons aujourd'hui, 95% des garçons passeront en U17 et on ne va certainement recruter aucun joueur supplémentaire. A 18 ans enfin, à un âge qui marque la fin des premiers contrats, on opère quelques ajustements. Mais chez les U19 (managés par Michel Rodriguez et Romain Leroux), 50% de nos garçons sont quand même issus de notre préfo".

Avec seulement trois éléments signant professionnel au Stade Malherbe par génération, les places sont chères…

"J'ai dit trois, mais deux, c'est déjà très bien aussi. Je sais que certains clubs en font signer plus, mais ce n'est pas notre philosophie. Nous constatons ainsi que de nombreux clubs signent des premiers contrats à des joueurs qui en définitive ne jouent jamais. Pour notre part, nous faisons le choix d’être plus sélectifs. Il faut veiller à ce que la quantité ne nuise pas à la qualité. Chez nous, nous savons que les jeunes joueurs vont être très bien intégrés par Patrice Garande et son staff, à condition que leur niveau le justifie. En procédant ainsi, on laisse aussi de la place aux jeunes qui poussent derrière comme actuellement avec Jessy Deminguet et Yoël Armougom. Pour les autres jeunes qui ne parviennent pas à s’implanter dans le groupe professionnel, notre challenge est de leur donner les moyens techniques et tactiques de passer professionnel dans d’autres clubs comme Antoine Leautey (Niort), Christopher Opéri et Cheick Traoré(1) (Châteauroux) en Ligue 2, Dorian Charlier et Jason Tré en D1 suisse, Terence Baya en Ligue 3 italienne".

"Une fois que le garçon a prouvé sa valeur sportive, il signe ensuite un contrat"

Si les U17 et les U19 nationaux obtiennent de très bons résultats en ce début de saison(2), la présence de la réserve seulement en National 3 (ex-CFA2) ne constitue-t-elle pas un frein au développement des jeunes joueurs de votre centre ?

"C'est certain que nous devons emmener cette équipe à un cran supérieur. Le niveau n'est pas un problème pour nos joueurs, nos garçons l'ont. On s'en aperçoit à travers les nombreux matches amicaux que nous disputons contre les réserves de Lorient, Rennes ou du Havre (des N2). Maintenant, dans un esprit de formation, il nous faut jouer à ce niveau tous les week-ends. Ne serait-ce que pour les pros qui descendent. Monter en N2 est donc l'un de nos objectifs, mais ce n'est pas si facile. Car pour nous, chaque journée s’apparente à un vrai match de coupe face à des adversaires particulièrement motivés ! Pour le moment, nous subissons un peu mais nous avons des atouts pour revenir dans la course au titre. Avec les U19 qui arrivent et qui accumulent, en ce moment, des bons résultats, de la compétence et de l'expérience, nous disposerons, en janvier, d'un groupe de 30-35 joueurs capable de performer en N3 sans que le niveau de l'équipe baisse. Laissons Grégory Proment (l'entraîneur de la réserve) travailler sereinement et gardons confiance".

Aujourd'hui, les entourages des jeunes joueurs (familles, agents) mettent une énorme pression pour obtenir des contrats le plus rapidement possible…

"Ma position est la suivante : Pourquoi les clubs devraient-il donner un contrat à un garçon qui n'a jamais fait ses preuves ? J'ai vu tellement de joueurs sous contrat qui n'ont jamais été capables de faire une vraie saison en U17 Nationaux et passer le cut des U19. Donc avant de faire signer un garçon, il vaut mieux attendre un peu afin d’avoir des garanties sur son véritable potentiel. A Malherbe, à 15 ans, tu signes en amateur en étant nourri, logé, blanchi avec la scolarité comprise. J’estime que cela représente déjà une marque de confiance et un investissement que le club place dans le joueur. Dans notre société, on ne trouve pas ça partout... Une fois que le garçon nous a prouvé sa valeur sportive dans sa catégorie (U17, U19, réserve), en fonction du nombre de matches qu'il a effectué, il signe ensuite un contrat qui correspond à ses performances. C'est de cette manière qu'on a fonctionné avec des garçons comme Enzo Deminguet, Jason Bahamboula, Yassine Gueddar, Alexis Beka Beka ou Luca Boudonnet. C'est un système plus sain pour les joueurs… et plus motivant aussi".

Alors qu'un gentleman agrement existait en France au niveau de la formation, on constate depuis quelques années l'apparition d'un nouveau phénomène avec certains clubs français qui pratiquent la surenchère pour débaucher des jeunes dans d'autres centres. Le Stade Malherbe en a été victime avec le départ, récemment, de Jaly Mouaddib (U17) à Lille…

"C’est vrai que nous observons la multiplication exponentielle des sollicitations au niveau des jeunes joueurs. Le problème dans le football, c'est que tous les jours de nouveaux "pseudos conseillers" apparaissent attirés par l’appât du gain et dont le seul intérêt est de déstabiliser les joueurs pour leur faire signer un contrat de médiation. Puis dans un second temps, leur objectif est de faire bouger les joueurs pour récupérer des commissions. Il faut les entendre plastronner en parlant de football au bord des terrains alors que la plupart d’entre eux ne savent pas faire un contrôle et une passe correcte ! C’est hallucinant ! Vous parlez ensuite de Lille. C’est un autre phénomène du football actuel d’emprunter une ligne très agressive dans le recrutement des jeunes en mettant en avant ses atouts avec Marcelo Bielsa pour l'exemple lillois la la réussite d’ (Eden) Hazard et (Divock) Origi. On verra bien ou en sera leur projet quand Bielsa sera parti. Pour le reste, je tiens à faire remarquer que Hazard et Origi avaient, eux aussi, été déjà "piratés" par Lille en leur temps à des clubs belges. Et on peut donc souligner que le mérite de Lille dans leur formation n’est que partiel. La question est de savoir comment on veut construire sa carrière. A Caen, ce que l'on propose, c'est de la stabilité, du respect et de la confiance. Avec M. (Jean-François) Fortin, Xavier Gravelaine, Alain Cavéglia, le coach (Patrice Garande), nous avons des hommes de parole. Quand ils te serrent la main, ça a une grande valeur. A Caen, nous sommes très fiers de nos joueurs, du travail de nos éducateurs et nous n’allons pas pour notre part, "piquer" les joueurs des autres centres de formation".

"Que des grandes écuries comme Rennes en soient réduits à venir chercher des garçons chez nous..."

Il y a aussi le cas des joueurs qui refusent de signer leur premier contrat professionnel dans leur club formateur comme avec Jordan Tell cet été qui a préféré s'engager à Rennes…

"Jordan Tell, personne ne peut dire qu'il a été mal formé chez nous. Il a été pris totalement en charge et salarié pendant cinq années. Il s’est blessé pendant deux ans, le club n'a jamais lâché un seul des engagements qu’il avait pris à son égard. On l'a remis en selle. Les éducateurs et les médecins du centre de formation ont fait un travail de très grande qualité pour qu’il revienne à son niveau. Dans sa dernière année de contrat stagiaire, Patrice Garande et Alain Cavéglia lui ont ouvert la porte des pros, l'ont lancé en Ligue 1 et à l'arrivée, il refuse de signer son contrat et part à Rennes. Vous serez d’accord pour dire qu'il a manqué d'un minimum de reconnaissance et de respect. Non ? Mais cet exemple m’interpelle sur un autre point. Que des grandes écuries comme Rennes qui investissent énormément dans la formation avec des budgets deux à trois fois supérieurs au nôtre en soient réduits à venir chercher des garçons chez nous comme Sabri Toufiqui (3) ou Jordan Tell me flatte beaucoup... puisque les joueurs que nous formons leurs semblent plus intéressants que ceux qu’ils forment eux-mêmes (sourire) ! Je cite souvent l'exemple de (Miralem) Pjanic que nous avons lancé en Ligue 1 à Metz à 17 ans. A l'époque, nous ne pouvions pas le faire signer pro, car il était trop jeune. Il aurait pu partir libre à la fin de son contrat aspirant sans que Metz n’y gagne rien. Les candidats ne manquaient pas. Tous les clubs allemands étaient à ses pieds. Mais il m’avait donné sa parole ainsi qu’à Carlo Molinari (le président messin de l'époque). Il a joué tout le championnat avec nous, signé son contrat pro et Metz l'a transféré, avec son accord, un mois après, à Lyon pour 7,5 M€ + des bonus(4)".

La législation du football protège-t-elle assez les clubs formateurs de la dimension du Stade Malherbe ?

"Des indemnités de formation existent. Rennes a dû nous dédommager pour Toufiqui et Tell. On sait gré à l'UEFA, à la Fédération et à la Ligue de défendre les clubs formateurs. Mais nous préférons que nos jeunes débutent en pro chez nous, même si pour certains ils nous quittent (trop) rapidement ensuite (Jean-Victor Makengo, Yann Karamoh, Thomas Lemar)".

(1)Après 11 journées, les U19 de Michel Rodriguez sont en tête de leur groupe alors que les U17 de Matthieu Ballon - après 10 journées - sont quatrièmes de leur poule avec une seule défaite.

(2)Prêté à Châteauroux qu'il avait rejoint en National la saison dernière, Cheikh Traoré a signé un contrat professionnel de cinq ans avec Guingamp.

(3)Formé au Stade Malherbe, Sabri Toufiqui a signé un premier contrat professionnel avec Rennes en juillet 2015.

(4)International bosnien (76 sélections), Miralem Pjanic (27 ans) - qui a participé à la Coupe du Monde 2014 - a évolué trois saisons à Lyon avant de partir à l'AS Rome puis à la Juventus Turin.

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