
Fragments du discours amoureux
Dire qu’on aime le Stade Malherbe relève de l’euphémisme. Ou plutôt crier « Malherbe » à hue et à dia dans les travées de d’Ornano, dans les autres enceintes du championnat ou devant son écran est un chant d’amour en soi. Pas besoin de précisions : ces deux syllabes, le lot d’émotions qu’elles véhiculent, forment un écho suffisant pour exprimer la teneur de nos sentiments. Depuis des années, depuis des décennies pour certains, le Stade Malherbe constitue notre plus vieille relation : marquée par un emportement inexplicable, elle amène avec elle les délices autant que les déceptions du quotidien. On voudrait du SMC qu’il nous offre le meilleur, tout le temps, dans n’importe quelle condition, et cette simple position, pas toujours suivie d’effets, suffit à entretenir la flamme. Le plan de jeu proposé par Fabien Mercadal depuis début août, le scénario des matchs et le visage d’une équipe sont peut-être aujourd’hui les meilleures attentions pour nous redonner la certitude de la persistance de cette fièvre passionnelle. Quand en plus les joueurs savent faire le nécessaire, prendre enfin trois points et rendre un peu plus doux l’enchaînement des jours, on se dit que ce couple a tous les arguments pour durer.
Coubertin vs. Nietzsche
Chacun ses amours, toutefois, et dans le cadre du sport la passion des uns apparaît comme une contrainte pour les autres. Non pas que l’on souhaite éteindre cette flamme qui brûle dans la cité phocéenne et qui ressemble un peu à la nôtre : il suffit juste que la chaleur qui s’en dégage soit, le temps d’un dimanche à la douceur estivale, un peu moins vive. Mettre les pieds à Marseille, c’est en effet se rappeler que le sport est avant tout une opposition, une joute qui doit nous amener vers la victoire. De l’olympisme, on garde (trop) souvent ces mots accordés à Pierre de Coubertin : « L’important, c’est de participer ». Derrière la récupération pédagogique et l’humanisme de bon aloi qui se dégage de cette phrase, le fondateur des JO modernes exprimait surtout toute l’importance « romantique » de mener un combat. Mais en football, ce combat, encore faut-il le gagner. Et dans cette optique, encore faut-il tout faire pour se dépasser. Cette volonté de puissance, chère à Nietzsche, place le joueur dans un élan sensible, subjectif et charnel qui doit le mener vers les plus hautes sphères de ses compétences. Faire de la bataille un jeu de forces qui structure, chaque semaine un peu plus. Il ne sera pas tant prépondérant que le Stade Malherbe incarne ce surhomme qu’avait imaginé le philosophe allemand. En sortant, ainsi, un peu du commun des mortels, il en deviendrait peut-être même un peu moins Malherbiste. Mais cet entrain assure une dynamique, une remise à l’ouvrage hebdomadaire de son être : elle assure un changement permanent, fait perdurer le sentiment amoureux en dehors de la routine et maintient l’équipe dans un espace autre que celui que compose notre quotidien. Là où résident les idoles.